PARIS --- Le marché européen des drones MALE, mais aussi celui des drones HALE avec le massif RQ-4 Global Hawk de Northrop Grumman choisi par l’OTAN pour sa mission AGS (Air Ground Surveillance), est toujours totalement dominé les États-Unis.
Une dizaine de pays européens ont acquis des Reaper et se trouvent ainsi dépendants des Américains pour leur usage. C’est toujours le cas de la France qui a découvert différents aspects de la dépendance aux US dans la douleur. Les autres y sont habitués.
Pour l’Europe, la tentative de la dernière chance est en cours. En 2013, Airbus DS, Dassault Aviation et Aermacchi (Leonardo depuis) remettent une proposition industrielle pour le développement d’un drone commun. Cette proposition est acceptée par les États allemand, français et italien, auxquels s’ajoutera l’Espagne.
L’Allemagne est désignée leader du projet avec AIBUS DS comme maître d’œuvre et l’OCCAR comme agence contractante. Position confirmée par le président Macron et la chancelière Merkel lors du fameux Conseil de défense et de sécurité franco-allemand de juillet 2017 qui a aussi lancé le SCAF, le char du futur MGCS et un projet d’avion de patrouille maritime commun.
De ces quatre projets « européens », il est difficile de désigner va le mieux. On dira quand même que celui qui se porte le plus mal concerne l’avion de patrouille maritime, puisque les Allemands ont choisi depuis un avion américain. L’état des dossiers MGCS et SCAF n’est pas brillant.
Mais celui du drone MALE européen, appelé initialement Eurodrone 2025 et appelé Euromale « sans date » aujourd’hui, est plus que préoccupant. L’armée de l’air française voulait un « Reaper européen » c’est à dire un drone monomoteur polyvalent avec des performances équivalentes au Reaper dont la capacité à se transporter facilement.
Au bout du compte, les Allemands vont imposer un drone plus gros, proche de la catégorie HALE, qui aura des performances inférieures à celles du Reaper. Un bimoteur et non pas un monomoteur, pour des raisons de certification qui ont couté la tête d’une ministre de la défense avec l’échec coûteux de l’achat de Global Hawk en 2011.
Les Allemands veulent que ce drone soit certifié en navigabilité (airworthiness) selon les critères d’un aéronef civil. Ceci n’est en rien une obligation réglementaire pour un appareil militaire et alourdit considérablement les spécifications, donc le coût qui sera très supérieur à celui du Reaper.
La souveraineté européenne dans ce domaine pourrait coûter beaucoup d’argent aux armées françaises.
S’agissant du calendrier, exit la date de 2025 prévue au départ. L’Euromale n’entrera pas en service avant 2030. Mais, à ce jour, le contrat n’est toujours pas notifié. La date est repoussée depuis deux ans, faute de consensus sur le coût du programme. Et pourtant, un drone MALE n’est pas un drone de combat complexe. C’est un moto-planeur avec des capteurs et une liaison SATCOM. La partie complexe concerne les commandes de vol qui sont réalisées par Dassault Aviation faute de compétences en la matière chez Airbus. Le problème de l’Euromale, c’est celui des sur-spécifications exigées par l’Allemagne et la compétence du maitre d’œuvre Airbus DS.
L’armement de cet Euromale ne pose plus de problème à la France. L’Allemagne, quant à elle, s’est toujours opposée à l’armement de ses drones MALE Heron TP d’origine israélienne. Il semblerait que nouvelle coalition allemande aurait approuvé, dans sa plateforme commune, la possibilité d’armer ses drones pour la seule mission de protection des soldats allemands. Un dossier intéressant pour la nouvelle ministre de la défense Christine Lambrecht.
Le pragmatisme habituel des Britanniques
Premier client étranger des Predator et Reaper américain, la Royal Air Force a commandé à General Atomics des drones « Protector RG Mk1 Sky Guardian », une amélioration très sensible du Reaper. Leur niveau de sécurité associé à un système automatique « detect and avoid » leur permettra d’évoluer dans tout l’espace aérien britannique et européen, ségrégué ou non ségrégué. Une amélioration essentielle pour un emploi dans un contexte civil (sécurité civile, surveillance des frontières,…) alors que la quasi-totalité des Reaper sont employés par les Européens sur des théâtres d’opérations où les militaires assurent le contrôle de la circulation aérienne, avec une activité civile limitée, très dense et réglementée en Europe.
Avec une voilure élargie et renforcée, le Protector emportera plus de carburant et plus d’armement dont des munitions britanniques. Équipé de la liaison 16, ce sera un véritable drone multi-mission capable de rester en vol 40 heures à 40 000 ft. Une version marine « Sea Guardian » a aussi été développée par GA.
Si le contrat Euromale est notifié un jour, c’est avec le Protector britannique qu’il devra être comparé. Et la comparaison risque d’être douloureuse.
Le retour des conflits de haute intensité marque-t-il la fin des drones MALE?
C’est la question que l’US Air Force se pose avec ses 250 Reaper dont la formation et le renouvellement des opérateurs restent une forte charge. Leurs chances de survie dans un confit de haute intensité auquel l’USAF doit se préparer, sont très réduites. Le débat est ouvert et les décisions ne sont pas encore prises.
Trois pistes existent. D’une part ils conserveront leur pertinence dans les phases qui précèderont et feront suite à la haute intensité. D’autre part, même si les US se sont désengagés d’Afghanistan et d’Irak qui en étaient les principaux consommateurs, beaucoup militent pour la poursuite d’un « contrôle aérien » de ces zones avec des Reaper. Enfin aux US, comme ailleurs, si la question de l’intégration de ces drones dans les espaces aériens non-ségrégués est réglée, ils trouveront toute leur pertinence dans des missions civiles de surveillance au profit des forces de sécurité civile ou de contrôle des frontières. Une mission qui va prendre de l’ampleur eu Europe également.
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L’Europe a raté la révolution des drones MALE, favorisée par la nature des opérations militaires de ces 20 dernières années. Mais une seconde révolution approche, celle des drones de combat qui est la conséquence de deux facteurs nouveaux : le retour de la guerre de haute intensité qui signe la fin de la supériorité aérienne occidentale, et la réalisation des promesses de l’intelligence artificielle qui va donner aux drones l’indispensable autonomie dont ils ont besoin pour s’affranchir des contraintes d’un « pilotage à distance ».
Cette deuxième révolution sera abordée dans un futur article.
Cet article est le deuxième sur le sujet. Cliquez ici pour la première partie.
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