EDITOR’S NOTE: This is another of our occasional articles posted in the original language in which they are written, essentially to widen our readership but also to avoid inadvertent misrepresentations due to translation. An English translation follows below.)
PARIS --- Une première partie de notre analyse expliquait comment les Européens avaient raté la révolution des drones MALE. Leur explosion avait été favorisée par la nature des opérations militaires de ces vingt dernières années caractérisées par une menace aérienne souvent inexistante.
Avec la résurgence des États-puissance, la perspective d’une guerre de haute intensité est de retour. Modernisation des aviations de chasse et des systèmes de défense sol-air est à l’ordre du jour. La supériorité aérienne est la condition de la liberté d’action des forces terrestres et navales. Dans un tel contexte, elle n’est plus acquise et cela change tout à la guerre. Les drones MALE se retrouvent disqualifiés dans ce type de conflits.
Mais une seconde révolution a débuté au début des années 2000. C’est celle des drones de combat, une catégorie bien plus ambitieuse de drones pour lesquels l’intelligence artificielle (IA) va jouer un rôle essentiel : elle va leur donner l’indispensable autonomie dont ils ont besoin pour s’affranchir des contraintes du « pilotage à distance ». Les nouveaux maîtres mots seront l’autonomie et la furtivité.
Les drones MALE/RPAS, moto-planeurs lents, détectables et vulnérables, pilotés en permanence à distance, ne dépendent pas de l’IA. Les drones de combat, les UCAS/UCAV (Unmanned Combat Air System/Vehicle) sont, quant à eux, de véritables avions de combat rapides, capables de remplir des missions variées, de pénétrer les défenses ennemies grâce à leur furtivité ou de ravitailler en vol. Programmés avant la mission, plus que pilotés à distance en permanence, ils peuvent agir de manière semi-autonome, voire autonome, grâce à l’apport de l’IA, pour leurs trajectoires de vol, le travail des capteurs voire le choix des objectifs.
Dans ce domaine, à la différence des drones MALE, les Européens ont investi depuis 15 ans. C’est en particulier le cas de la France avec le programme Neuron et du Royaume-Uni avec le Taranis. Pour ces deux pays, comme pour la plupart des grandes puissances, les années 2010 seront le temps des démonstrateurs. Celui qui précèdent le temps des prototypes.
Le Neuron, un programme exemplaire de démonstrateur de drone de combat
Pour la France ce sera le Neuron. De la taille d’un Mirage 2000, le Neuron est un démonstrateur de technologies de drone de combat (UCAS ou UCAV), lancé par la ministre de la défense française, Michèle Alliot-Marie, lors du Salon du Bourget 2003. Un programme en coopération européenne dans lequel la France sera leader, la DGA maître d’ouvrage et Dassault Aviation maître d’œuvre.
En février 2006, la DGA notifie un contrat de 405 M€. La France finance 180 M€ (45%), l’Italie et la Suède 75 M€ chacun, la Suisse et la Grèce 25 M€. Un programme de six pays européens conduit pour la première fois en « plateau numérique ». Il va se dérouler de façon nominale avec un 1er vol en janvier 2012 à Istres et un 1er vol en configuration furtive/VLO (very low observability) en octobre 2014. Plus d’une centaine de vols sont effectués en France, en Italie et en Suède.
Tous les objectifs du programme sont tenus : calendrier, performances, technologies et coûts.
Le Neuron est un grand succès pour la France et ses partenaires: avec un investissement très inférieur à celui des États-Unis, des technologies clés d’un drone de combat sont validées : VLO, vol automatique, commandes de vol, soute armement, capteurs « flush »....
Le Neuron permet à la France d’appartenir au club très fermé des pays qui maîtrisent la technologie de la furtivité du XXIème siècle. Une technologie indispensable aux avions de combat de demain, pilotés ou non-pilotés. Après dix années d‘activité, le Neuron termine sa vie en effectuant des vols dans un cadre franco-français pour continuer à valider des technologies utiles à l’aviation de combat de demain.
Le Neuron c’est aussi une coopération exemplaire entre six pays européens dont Dassault Aviation aurait voulu qu’elle serve de modèle au projet SCAF franco-allemand : un seul maître d’œuvre qui détient les compétences requises. Mais ce n’est pas ce modèle qui sera retenu et le SCAF a le plus grand mal à progresser.
Taranis, le Dieu du ciel et du tonnerre britannique.
Dans le même temps les Britanniques lancent le programme Taranis, un autre démonstrateur de drone de combat qui va naître en 2005 avec la Defense Indutrial Strategy. Il a une taille et une forme proche de celle du Neuron. Le coût de ce programme est inférieur à celui de son concurrent européen. Il s’élève à seulement 185 millions de livres (222 M€).
Sous maitrise d’ouvrage du Ministry of Defense, il associe BAE Systems, le maître d’œuvre, Rolls Royce, QinetiQ et General Electric. Le Taranis est présenté en 2010. Mais il faudra attendre le 5 février 2014 pour que BAE annonce que son 1er vol a eu lieu en Australie, le 10 août 2013.
A la différence du Neuron, très peu d’informations sur le Taranis sont disponibles. Le fait que les vols se sont déroulés dans un désert australien fait planer des doutes sur son niveau de sécurité. A titre de comparaison, en 2016, le Neuron, accompagné d’un Rafale et d’un Falcon, a effectué un « défilé aérien » sur la base d’Istres en présence de dizaines de milliers de personne à l’occasion du meeting aérien des 100 ans de Dassault Aviation. Avec le Neuron, performances et sécurité ont été au rendez-vous. Pour le Taranis, cela reste l’inconnu.
FCAS : la lune de miel de la coopération franco-britannique
Le sujet des drones de combat va prendre un nouvel élan en Europe avec le rapprochement politique entre la France et le Royaume-Uni au début des années 2000. Celui-ci concerne en particulier le domaine de la défense pour deux pays qui possèdent de nombreux points communs : des armes nucléaires, des armées de tout premier plan et une industrie de défense souveraine et compétitive.
La relation est au beau fixe 12 ans après les accords de Saint Malo qui ont donné un coup de fouet à l’Europe de la défense dans la foulée de la faiblesse militaire des Européens dans la crise des Balkans. Le 2 novembre 2010, le président Nicolas Sarkozy et le Premier ministre David Cameron signent les Accords de Lancaster House. Un premier traité concerne le développement des armes nucléaires. Un second porte sur la coopération opérationnelle entre les forces armées et les industries d’armement.
Les deux pays s’entendent pour lancer un programme de drone de combat commun. Ce sera le projet FCAS pour Future Combat Air System. Pourquoi un drone de combat et pas un nouveau chasseur ? L’explication est simple : les Britanniques ont choisi le programme F-35 pour la RAF et la France peine à vendre le Rafale. Pour Dassault Aviation et BAE Systems, les deux principaux maîtres d’œuvre en Europe, un nouvel avion de combat n’est alors pas envisageable. Ils ont pourtant besoin d’un projet structurant pour maintenir les compétences de leurs bureaux d’études, condition de leur pérennité. Sur la base du démonstrateur Neuron pour l’un et Taranis pour l’autre, la coopération portera donc sur un drone de combat dont aucun prototype opérationnel n’existe encore dans le monde.
Bon gré mal gré, les opérationnels des deux pays valident le besoin opérationnel. Mais pour l’armée de l’air et la RAF, le besoin n’est pas évident car elles ont des capacités plus prioritaires à satisfaire, et le retour de la guerre de haute intensité n’est pas encore une préoccupation. Le temps des industriels n’est souvent pas celui des militaires.
Après une déclaration d’intention signée en janvier 2014, une coopération industrielle et opérationnelle est lancée. Une cérémonie se tient le 5 novembre 2014 au siège de Dassault Aviation à Saint Cloud pour le lancement d’une « étude de faisabilité ». Les deux États allouent 150M€ qui sont répartis entre six industriels, trois par pays, pour une durée d’études de deux ans : Dassault Aviation et BAE Systems ont la responsabilité de la conception générale du drone, Rolls Royce et Safran celle du moteur, Thales et Selex ES s’occuperont des capteurs, de la GE et des communications.
En mars 2016, lors du Sommet d’Amiens, la France et le Royaume-Uni décident d’investir «plus de deux milliards » dans un démonstrateur qui doit voler en 2025. Le communiqué évoque un programme « qui pourrait servir de base à une future capacité opérationnelle en 2030 ».
Les industriels sont satisfaits, ils pourront sauver leurs bureaux d’études. La France et le Royaume-Uni aussi. Les deux pays conservent ainsi leur capacité à concevoir un nouvel avion de combat, le moment venu.
On ne peut pas réécrire l’Histoire. Mais, si un bouleversement politique considérable n’avait pas eu lieu à ce moment-là, le premier drone de combat furtif opérationnel au monde aurait été européen.
Le FCAS est mort, vive le SCAF
Contre toute attente, un double tsunami politique va se produire.
C’est d’abord le Brexit. Le 23 juin 2016, les Britanniques votent pour une sortie de l’UE. Le Brexit va donner un coup d’arrêt au FCAS franco-britannique.
C’est ensuite l’élection d’Emmanuel Macron, le 14 mai 2017. Le nouveau président français décide de privilégier la coopération militaire entre la France et l’Allemagne au détriment des «Brexiter ». Il serait d’ailleurs intéressant de savoir comment les choses auraient évolué si le Brexit n’avait pas eu lieu. Il a vraisemblablement facilité le « changement de portage » qui va arriver.
Le 13 juillet 2017 se tient un conseil de défense et de sécurité franco-allemand fondateur qui entérine le lancement d’un programme bilatéral qui va rapidement porter lui aussi porter le nom de FCAS/SCAF. Cette fois-ci, la coopération ne porte plus sur un « UCAV » mais d’un chasseur piloté accompagné de drones dit d’accompagnement (Remote carrier/RC), le tout dans un « Combat Cloud ». Ce sont les Allemands qui sont à la manœuvre pour des raisons d’abord industrielles : ils ont besoin de la France pour remonter en gamme industrielle dans le domaine stratégique et de haute technologie des avions de combat.
Malgré l’effort de la France qui se heurte à une fin de non-recevoir britannique, le sommet franco-britannique de janvier 2018 met le « FCAS UCAS » en sommeil, situation dans laquelle il se trouve toujours. Exit les deux milliards d’euros et le démonstrateur en 2025.
Tout est à refaire pour Dassault Aviation et cette fois-ci avec les Allemands et Airbus qui sont aussi des concurrents du Rafale à l’export avec l’Eurofighter. Mais le projet est plus ambitieux que le précédent et ce sont les États qui financent le développement des capacités militaires.
(A suivre)
(ends)